Je m'appelle Helloser,
né Kaleor Torkynn à StoneHeim il y a 30 ans de cela, fils aîné d'Agoric et Cimbrel
Torkynn, mages guerriers et Prévôts de la Maison du Séisme et descendants des
habitants de Kalendhorff.
Je suis un Druide Noir, serviteur de Lugh et mentor du Cercle de la Forêt, enfant
du second Cercle de la Main de Fer réuni par Favo le Pourpre. Tout cela doit vous
paraître bien compliqué! Commençons par le commencement…
L'acharnement de puissances obscures sur ma famille, ces maudits Prophètes Noirs,
a fait de moi un homme sans passé ni repère. Il m'est difficile de réunir clairement
les bribes de souvenirs qui m'apparaissent lorsque mon esprit fait abstraction
de mon corps, lors de mes méditations.
Mon enfance m'est inconnue, au moins suis-je sûr désormais d'avoir des parents,
espoir qui m'a longtemps été refusé. Je n'ai pas été adopté, mes premiers souvenirs
retrouvés commencent à l'âge de dix ans; j'étais seul sur Arakas, sans ma famille…
J'ai dû apprendre la vie et encaisser ses terribles leçons, j'en ai tiré des profits
dont je n'aime pas me souvenir, volant, combattant, sans personne pour me montrer
le chemin. Plus je grandissais et plus je devenais un brigand, un roublard, un
de ces petits criminels qui à la longue n'intéressent même plus la justice du
peuple, un pauvre erre de quinze ans. Un être anonyme qui ignorait son propre
nom et que personne ne nommait de toute manière.
Un jour passé à chercher vivres et gîte je me retrouvais errant en bordure de
la forêt autour de WindHowl, tapi, cherchant quelque marchand à dépouiller pour
avoir la chance de manger un soir de plus. J'étais passé maître dans l'art de
me cacher mais un homme cependant me vit aussi clairement qu'en plein jour. Un
vieil homme voûté au visage ridé et au rictus peu engageant, drapé dans une simple
tunique dont la couleur avait dû passer il y a des décennies de cela. Avec une
force peu commune pour un vieillard il me tira en arrière dans les buissons et,
sans mot dire, fixa son regard délavé au cœur des mes yeux affolés. Il dit s'appeler
Arysan l'Arbre et vouloir me parler, à moi l'anonyme, le sans-nom, le guerrier
voleur sans âme! Alors je l'écoutais et plus il parlait plus je buvais ses paroles
qui pénétraient mon esprit comme autant de vérités. Le premier être qui m'accordait
de l'attention sans vouloir me jeter au cachot ou me voir pendu devant la populace,
un homme qui voyait en moi quelque chose de spécial, un grand pouvoir insistait-il,
dont j'ignorais l'existence et dont les stigmates coulaient à même mon sang. Il
me prit avec lui et me ramena dans un lieu étrange, au cœur de la forêt, caché
de tout.
Il me présenta la communauté des Frères de l'Arbre Sombre dont il était le Père
spirituel, des Druides renégats maîtres de la nécromancie, l'Arcane Sombre… Il
me nourrit, il m'écouta bien que je n'eus rien à dire de moi puis me donna un
nom, Helloser. Un nom!! Mon nom, je crois que j'ai pleuré la première fois enfin
qu'un être humain m'a nommé... Ces quelques lettres qui résumaient toute ma courte
vie désormais s'inscrivaient au plus profond de mon esprit tant j'avais peur de
perdre ce cadeau inestimable, mon identité. Il me prit sous son aile en tant que
mentor, fit de moi son disciple et m'apprit tout ce qu'il savait. Il me fit découvrir
cette magie qui se puise au cœur de la forêt, régie par les Esprits de la Nature
et Caernun en particulier, m'apprit qu'il existait plusieurs Sphères de Magie.
J'apprenais à maîtriser celles de la Terre et de la Lumière, mais surtout l'arcane
sombre, la plus difficile en raison même de sa nature. Qu'importait que je prenne
de la vie si mon maître était fier de moi et continuait à m'estimer.
Un jour enfin il m'intronisa Druide et je devenais un Frère de l'Arbre Sombre
comme ces hommes puissants et discrets qui profitaient également des enseignements
d'Arysan. Continuant de me perfectionner je devenais peut-être plus clairvoyant
car je me rendais compte en mon for intérieur de la nature contradictoire et mauvaise
de la nécromancie. Pouvais-je contredire mon mentor, celui qui m'avait tout donné?
Las, je le fis par impulsivité un soit où je lui demandais pourquoi à cause de
cette magie je devrais comme lui rester un paria, loin des autres comme je l'étais
déjà auparavant. Je désirais connaître les gens et cela le mit dans une rage folle.
Il prononça des paroles très dures, mystérieuses aussi, me disant que décidément
je n'étais pas plus digne de lui que son premier fils mais que cela n'importait
plus désormais. Il invoqua un démon de l'oubli et effaça ma vie.
Je me retrouvais devant les portes de WindHowl, paniqué et mon premier réflexe
fut de me tapir derrière un bosquet, épiant le passage des marchands exactement
comme j'étais en train de le faire dans mon dernier souvenir. Quelque chose était
étrange et impalpable, comme un poids dans ma tête qui restait invisible. Six
ans étaient passés, j'avais vingt et un ans, toujours vêtu de mon armure rapiécée
et de mon épée oxydée et j'étais incapable de dire ce qui s'était passé durant
tout ce temps. Mais vous savez, je n'étais qu'un voleur, alors je ne réfléchis
pas longtemps avant de me retirer à quelques pas de la bordure de la forêt et
guetter un marchand que je pourrais dépouiller pour manger… un soir de plus. Mais
comment expliquer que je me sente si bien dans la profondeur des bois dont je
m'étais toujours méfié avant? Perturbé je décidais d'aller chercher d'autres bourses
et d'autres combats à l'épée près de LightHaven, la deuxième ville du royaume
de GoldMoon.
Et là tout bascula.
Un jour où j'osai entrer dans le centre de la ville et dépenser quelques pièces
dérobées pour m'acheter de la nourriture, un grand homme à la voix forte me tapa
sur l'épaule et se moqua un peu de ma tenue délabrée. Il riait beaucoup et se
montrait sympathique, ce qui me rendait décidément plus méfiant. Que me voulait
cet homme? Il me demanda mon nom… Que pouvais-je lui répondre? Je restais cois
à le regarder, désemparé par tant de paroles et je crois qu'il comprit que je
n'avais pas de nom. Son comportement changea du tout au tout et je ressentis de
sa part une émotion jusque là étrangère, la compassion. Il ne se moquait plus
de moi et d'une voix plus forte et plus sûre encore me conviait à sa table à la
taverne. Normalement j'aurais dû m'enfuir et sans doute tenter de lui prendre
ses économies mais je n'en fis rien et le suivit comme un petit chien, troublé
et la tête vide.
Alors que je dévorais la troisième plâtrée de ragoût qu'il commandait pour moi
il se présenta comme Quab Brimsac, mage de Syl et ne me posa pas de questions.
Une fois rassasié, j'avais mangé pour plusieurs semaines de jeun au moins, il
me mena chez l'armurier et, sans rien me demander, m'acheta vêtements, armure
et arme. Abasourdi, ne sachant comment réagir ou peut-être comment je devrais
payer tant de générosité, j'acceptais cependant de le revoir régulièrement, lui
me disant que j'étais si peu crédible en voleur qu'il se devait de me montrer
une autre voie.
Je le revis tous les jours pendant deux mois, lui m'accordant des bienfaits et
de la magie pour que je me perfectionne dans l'art de la Guerre. Jamais cependant
il ne me donna de nom, j'étais son "jeune ami". Mais une fois seul, le soir, je
prenais l'habitude de me promener au cœur de la forêt, à écouter et réfléchir.
Je crois bien que déjà je me doutais n'être plus le même.
Puis Quab, devenu mon Maître et ami, me présenta de fascinants personnages: le
puissant prêtre guerrier Rodhgar, le Grand Mage Gorch, l'agile archer-prêtre Illmarinn
Wyse, qu'il me présenta comme les disciples de Favo le Pourpre, les enfants du
Cercle de la Main de Fer, une société secrète réunissant les fils spirituels du
bon et sage Morhynn, maître de Kalendhorff, une ville oubliée de tous qui paya
le prix de son indépendance envers le roi Théophile et fut détruite. Ainsi tout
prenait une dimension supérieure: en entrant dans ce Cercle je me choisissais
un but, des principes, des Frères. Après un an de cette nouvelle existence si
riche d'enseignements et d'amour, je décidai de parler à Quab de ces rêves étranges
qui hantaient chacune de mes nuits, qui me poussaient à croire qu'un autre se
cachait en moi. J'avais acquis au gré de mes longues excursions nocturnes une
sensibilité que je ne me connaissais pas et là je pressentais que mon esprit se
jouait de moi. Pourquoi ne pouvais-je me rappeler de ma jeune enfance ni de ces
six années de néant?
Quab utilisa sa magie pour scruter mon esprit durant de longues heures puis s'arrêta
brusquement et me regarda d'une manière étrange. Il sentait une autre magie qui
dissimulait mes souvenirs, un sortilège très ancien et puissant que peu de mages
connaissent; une magie qu'il se sentait capable de lever. Et c'est ce qu'il fit
avec l'appui mental des Frères du Cercle, il pénétra au cœur de mon âme morcelée
et leva le blocage. J'entr'aperçus ce que fut ma vie pendant ces six années vides,
malheureusement pas ma jeune enfance.
Tout s'éclaira: je redevins le Druide que j'avais toujours été, tel qu'Arysan
m'avait façonné. Je repris le nom qu'il m'avait donné, Helloser, celui de son
fils disparu qui lui non plus n'avait pas réussi à combler ses exigences. Je décidai
dans la foulée de renier l'Arcane Sombre et commençai à apprendre la magie de
la sphère du Vent et des Eclairs. J'entrai par la même occasion dans le Cercle
de la Forêt, aux côtés de Quab et de sa femme, Tahaa.
A présent je suis, à mon tour, le mentor du Cercle de la Forêt, abjurateur et
chimiste au sein du Cercle de la Main de Fer, mais je suis aussi entré dans l'Ordre
Druidique de Glyph, sous la coupe de Tahaa Brimsac et Diokka le Banni. Mon expiation
prendra bientôt fin, je le sais, il ne me reste plus qu'à trouver la force de
me pardonner à moi-même mes actes passés.
Le mois dernier un miracle est survenu: j'ai rencontré un jeune paladin, Kathondren
Torkynn. Si notre rencontre a été fortuite il me cherchait car il est mon frère
cadet, né sur Feyd-Ehlan où s'étaient réfugiés mes parents quand j'avais dix ans,
détournant sur eux l'attention des Prophètes Noirs qui nous pourchassent. Ils
l'ont envoyé sur le miroir de Glyph pour le mettre, à son tour, hors de portée
de ces monstres et pour que je le protège. Ainsi mes parents sont vivants et je
comprends les raisons qui les ont poussés à passer au travers des mondes, je ne
puis leur tenir reproche de m'avoir laissé seul sur Glyph. Mon frère et moi avons
retrouvé les runes magiques que nos parents ont laissé sur ce monde d'Althéa,
qui permettent d'activer un portail déchirant la trame des dimensions. Au travers
de ce portail nous atterrirons peut-être sur le miroir de Feyd-Ehlan et nous réunirons
notre famille.
Je traquerai sans relâche ces Prophètes et je n'attendrai pas de savoir pourquoi
ils nous cherchent ainsi. Au nom de tous les être chers, au nom de Lugh, si ma
force ne m'abandonne pas je ferai déferler sur leur engeance toute ma colère et
je les exterminerai par milliers. Ils sont le dernier bastion de haine qui persiste
en moi et ils le paieront.
Je suis Helloser Kaleor Torkynn, enfant du Cercle de la Main de Fer et Druide
de Lugh. Je suis vivant.
|